#29 - Theropode

Simon n'était jamais parti en vacances avec sa famille au bord de la mer mais il avait l'étrange impression que c'était ce qui était entrain de se produire. Il avait accepté de laisser le volant du mini-van à Rachel, sans trop apprécier le soulagement qui était passé sur le visage de Liam. Rylke avait décidé d'être pénible en réclamant sans cesse de s'arrêter à la fête foraine avant d'aller s'encroûter chez les dinosaures. Prudence rebaptisée Haley, avait il appris en cours de route, s'était lancée dans une diatribe parce qu'il avait visiblement fait une reflexion machiste mais comme ça durait depuis un quart d'heure, il ne se souvenait plus de ce qu'il avait dit à l'origine pour en arriver là. Grut et Liam étaient les seuls à être silencieux, même si le premier lancé quelques regards impressionée à la jeune femme alors que son frère tentait maladroitement de la canaliser quand elle se montrait franchement agressive.
Ils devaient rouler jusqu'à l'établissement de North Camden où se trouver un portail qui donnait sur la plupart des capitales. Vinicius était censé les attendre là bas. Il espérait franchement qu'il ne se serait pas dégonflé. Après tout, il s'engageait à effacer complétement ses dettes, c'était une offre très généreuse pour l'inviter à assister à la destitution de Illkat. Sauf qu'en grand cynique, il n'y croyait pas le moins du monde.

— C'est la boite de strip-tease à côté de la petite chapelle blanche, dit Simon à Rachel.

— Une boite de strip-tease ? Ben, voyons. Je suis à peine étonnée, lança Haley dans un soupir en levant les yeux au ciel.

Liam commençait à avoir mal au crâne. C'était récurrent quand sa soeur était à proximité. S'il avait été ravi de la revoir saine et sauve, il commençait à croire qu'il aurait certainement plus apprécié son voyage chez les Dragons sans elle dans les pattes. Pourquoi n'apprenait-elle pas à la fermer un peu ? Mais évidemment, il n'allait pas lui dire une chose pareille sous peine de remettre 1$ dans la machine et qu'elle change de cible.
Il s'était mis à jouer avec son briquet, comme souvent quand il réfléchissait ou était nerveux. Il avait envie d'une clope, mais Haley, puisqu'il allait devoir s'habituer à l'appeler ainsi, allait lui casser les couilles sur l'influence du tabac, les produits nocifs etc. Il lui avait pourtant expliqué la veille que sa nature de dragon lui éviterait visiblement un cancer des poumons, mais il la connaissait suffisamment pour savoir qu'elle n'avait rien écouté.

— Avant c'était une salle de jeu mais c'était trop compliqué à gérer à cause de la mafia locale, dit Simon.

Et comme il ne souhaitait pas attirer davantage l'attention en rayant de la surface une partie de la pègre de cette ville, il avait préféré changé de secteur.

— Il y a énormément d'enterrement de vie de jeunes filles. Les chippendales ont le vent en poupe.

Il était certain que si Haley, diantre qu'il avait du mal à se faire à son nom, avait à coeur de défendre la sexualisation du corps de la femme, elle ne serait pas contre se rincer l'oeil si Grut montait sur scène à son tour.

Liam eut un léger sourire amusé à la réponse de Simon, pensant exactement la même chose à peu de choses près.

— Mouais... fit-elle en croisant les bras sur la poitrine.

Haley s'en voulut aussitôt d'imaginer les chippendales et leurs muscles huilés se trémousser dans un string ne laissant aucune place à l'imagination. Non, non, elle devait rester concentrée : jamais elle n'était allée dans ce type d'établissement et ce n'était pas parce qu'elle avait vu et revu Magic Mike avec sa mère un nombre incalculable de fois en bavant devant Channing Tatum qu'elle approuvait ce genre de choses.

Une fois que la voiture fut garée et qu'ils furent tous sortis, Rachel s'approcha de Grut pour lui poser la petite oreillette. Elle vérifia la fréquence et lui dit quelques phrases. Il hocha la tête ou fit non en guise de réponse.

— Le oui et le non sont inversés chez eux, prévint elle les autres.
— C'est quoi un strip-tease ? Demanda Rylke à Haley.

— C'est comme le porno : pas de ton âge, lui répliqua-t-elle.

Elle lança un regard noir à son frère. La veille, elle lui avait piqué une crise parce qu'il avait fourni un casque à Rylke pour qu'il puisse aller sur la chaîne payante sans que tout l'étage le sache. Liam s'était courageusement débiné en rentrant chez Simon et là, il faisait comme s'il ne la voyait pas, fouillant dans ses poches pour chercher son paquet de clopes.

— Pfff, j'ai déjà troussé une fille, soupira Rylke. Et elle a pas trouvé que j'avais pas l'âge.

Au contraire, elle l'avait laissé faire et lui avait demandé si elle pouvait retourner travailler après.

Haley tourna à nouveau son attention vers lui, les sourcils froncés aux termes employés.

— Déjà, on ne dit pas "trousser", c'est vulgaire. Ensuite, excuse-moi, mais je doute qu'au royaume des Ombres, elle ait eu tellement le choix. Elle devait...
— On est obligé de parler de ça maintenant ? soupira Liam en l'interrompant.

Il jeta un oeil à Simon, vraiment embarrassé.

— Elle a fait ce que je lui demandais, approuva Rylke. Et trousser ça veut dire soulever une jupe... Je vois pas ce qui est vulgaire. En dragon c'est bien "Terra-rian" ce qui veut dire dans ta langue "s'engager dans la forêt le glaive en avant".

Simon s'alluma une cigarette, tant qu'à rester sur le parking, autant rentabiliser cet instant.

— Notre langue utilise beaucoup les images, approuva-t-il.

Alors que Liam s'allumait une cigarette à son tour, il vit le regard de sa soeur s'embraser.

— Non, mais, tu t'entends ? cria-t-elle en lui donnant un coup sur le haut du bras. "Elle a fait ce que je lui demandais" ? Et elle, ce qu'elle voulait, t'en fais quoi, putain ?

Liam se demandait si elle était en colère à cause de la vision des choses de Rylke ou parce qu'il avait osé la moucher avec son explication.

— Si tu changeais d'avis pour la laisser ici, je comprendrais, fit-il en se rapprochant de Simon.

— Et toi quand tu me frappes ou que tu frappes ton petit frère, t'en fais quoi de notre avis ? Lui répondit Rylke sur le même ton. Tu passes ton temps à faire la leçon aux gens alors que t'es aussi irrespectueuse et violente que tout ce que tu critiques à longueur de temps.

Simon haussa les épaules.

— Elle trouvera des tas de choses à révolutionner là bas, dit il.

Haley s'apprêtait à lui donner un autre coup, mais se stoppa en plein geste. Rylke avait mis le doigt sur un point qu'elle évitait de regarder en face : sa propension à s'emporter verbalement et à frapper. Elle serra les dents, se rappelant que cela ne faisait que la rapprocher de son psychopathe de géniteur. Elle baissa la main et fila s'adosser à la carrosserie de la voiture le plus dignement possible, évitant leurs regards à tous.
Liam ne cacha pas sa surprise à son comportement. D'ordinaire, s'il s'était hasardé à lui sortir un truc comme ça, elle aurait encore plus crié et l'aurait encore plus frappé.

Rylke fut satisfait qu'elle ferme enfin sa gueule et il l'afficha sur son visage de jeune coq. Il regarda Liam et Simon.

— C'est quoi vos trucs que vous mettez dans la bouche là ?

Le jeune homme soupira en voyant l'adolescent si fier d'avoir rabattu le caquet de sa soeur.

— Donne-lui une clope tant que t'y es, fit Haley à son frère sans le regarder. Après le porno, hein, on n'est plus à ça près.

Liam leva les yeux au ciel. Vraiment, ce voyage allait être très long et pénible.

— Du tabac. Y en a pas chez toi ? demanda-t-il à Rylke.

Rylke haussa les épaules.

— J'sais pas trop... Je me souviens pas très bien de ma vie avant d'arriver chez les Commandeur. Parait que j'étais souvent malade à cause de la suie. Et dans sa maison, j'ai jamais trop fréquenté les Soldats.

Il respira l'odeur.

— Ça sent bon.

Simon lui tendit sa cigarette.

— Tu inspires mais fais attention avec la fumée, tu risques de t'étouffer.

Ils entendirent Haley râler qu'ils devraient avoir honte d'entrainer un gamin sur cette pente et qu'il ne manquait plus que l'alcool pour parfaire le tableau.

— C'était comment ta vie avec lui ? demanda soudain Liam, mal à l'aise.

Parler de Grayson restait compliqué malgré tout pour lui. Il essayait de s'affranchir de cela, mais dès qu'il voyait Rylke, cela le renvoyait à son géniteur.

Rylke s’étouffa en effet avec la cigarette et la rendit à Simon avec une grimace. Ce dernier adressa un regard qui signifiait clairement qu'ainsi la question était réglée. Il n'avait jamais trop compris en quoi on pouvait protéger un jeune d'expérimenter des choses via un interdit et une bonne dose de morale.

— C'était bien. J'ai jamais eu faim et j'ai jamais eu froid. Parfois j'avais des cadeaux.

C'était visiblement un concept très nouveau dans sa vie.

— Je comprends.

Liam souffla sa fumée. La réponse de Rylke était simple, contrairement à la vie qu'il avait du avoir avant s'il en croyait le récit d'Haley sur les villes de là-bas. Si, en plus, Grayson avait choisi une autre optique que celle de lui taper dessus pour obtenir des résultats, il n'était pas étonné que le môme ne comprenne pas pourquoi on l'avait arraché à cette vie, ni ce que lui et sa soeur reprochaient à leur père. Il ne pouvait pas lui en vouloir.

— J'avais un chien même. Et je l'entrainais dur. J'aurais fini par entrer dans l'armée... Dans deux ans à peine.

Il n'était pas sûr que Grayson accepte de le reprendre maintenant. Il devait croire qu'il l'avait trahi, qu'il avait été un sale ingrat.

— Il existe d'autres armées, dit Simon, ravi que le gamin soit finalement partant pour entrer à l'Académie de Thérapode.
Cela faisait au moins une chose de réglée. Il jeta sa cigarette et l'écrasa du talons.

Liam hocha la tête en terminant sa cigarette. Rylke n'était pas un mauvais gamin de ce qu'il en avait vu. Il avait certainement besoin d'un cadre et de repères stables, et de s'éloigner de l'influence de Grayson.
Il jeta un oeil à sa soeur. Mater Grut et ses muscles semblaient l'avoir calmée. Il ne comprenait vraiment pas pourquoi elle se mettait dans des états pareils. Tout ce qu'elle réussissait, c'était se mettre à dos la plupart des gens. Enfin, ce n'était pas comme s'il était un expert en relations humaines lui non plus...

Ils finirent par entrer dans la boite. A cette heure-ci, elle était déserte et seuls des employés de ménage y travaillaient.
Simon repéré cependant Vinicius assis à une table de bar avec un type en costard. Ils étaient tous les deux entrain de prendre un verre.

— Tu n'es pas venu seul, nota Simon en prenant une chaise.
— Toi non plus, répondit Vinicius en jetant un oeil à toute la troupe qui l'accompagnait.

Il reconnut Rachel qu'il salua d'un petit haussement de sourcils, un brin moqueur. Elle lui répondit par un air revêche qu'il affectionnait particulièrement chez les femmes en général. Les autres ne lui disaient rien.
Ses cheveux châtains lui tombaient légérement dans les yeux. Il avait un bouc qui lui mangeait le bas des joues et qui aurait eu besoin d'un petit rafraichissement. Son blouson de cuir était ouvert sur un tee-shirt noir avec un slogan quelque peu désuet et qui avait visiblement fait son temps.

— Trent est mon avocat. Tu lui remets le papier disant que je ne te dois plus rien avant que je vous suive, dit Vinicius.

Haley observa Vinicius avec circonspection. Elle ne s'était pas attendu à ce qu'il paraisse si négligé. Cela lui rappelait son frère avant, surtout quand il n'avait pas de boulot, mais en pire. Elle nota l'expression de Rachel à son encontre, se demandant ce qu'il lui avait fait pour qu'elle quitte son éternel air bienveillant.
De son côté, Liam se disait qu'ils faisaient un groupe bien hétéroclite avec le nouveau venu. Si Simon estimait que Vinicius était la bonne personne pour les accompagner, il n'avait rien à objecter, mais n'avait-il pas dit hier que ses manières étaient détestables ? Voilà qui promettait avec sa soeur vu comment elle était remontée depuis ce matin.

Rachel récupéra un plusieurs paquet au comptoir avec des étiquettes dessus.
Elle se dirigea vers Haley pour lui tendre le sien.

— Venez avec moi dans les vestiaires, nous irons nous changer les premières.

Cela laisserait le temps à Simon de régler ses petites affaires.
Elle donna à Liam et Rylke les leurs.

— Il y a un autre vestiaire près du nôtre.

Haley soupesa le paquet. Elle espérait que cette nouvelle tenue soit plus pratique que celles qu'on lui avait forcé à porter au royaume des Ombres.
Liam entraîna Rylke avec lui vers les vestiaires.

— Vous n'avez pas l'air d'apprécier cet homme, fit Haley à Rachel en la suivant.

Rachel referma la porte et posa ses affaires sur un banc. Elle ouvrit le paquet.
Elles avaient des tenues relativement similaires. Une robe mi-longue faite dans un cuir assez reptilien, se lassant sur le devant et avec un col capuche. Le pantalon dessous ressemblait à un leggin bien que la matière soit plus similaire à de la suédine.


— Vinicius sait très bien s'y prendre pour qu'on ne l'aime pas, dit elle simplement.

Elle commença à se déshabiller, dévoilant sa peau aux multiples lignes, orbes et ruptures de ces dernières. Elle n'en avait plus beaucoup d'encore intactes. Et elle n'était pas prête de refleurir un jour, se dit elle.