#28 - Vers

Ruta Baga se regarda dans le miroir de courtoisie. Elle remit une pointe de son rouge à lèvre « Désir cerise ». Elle l’affectionnait particulièrement pour sa teinte ni trop vive, ni trop brillante. En plus la texture était moelleuse, ne se déposait pas sur les verres et durait presque quatre ou cinq heure sans qu’elle ait à faire de retouche. Elle aimait bien aussi son goût fruité légèrement sucré mais pas écœurant.
Tant qu’elle y était, elle vérifia sa coiffure. Ses cheveux blonds étaient tirés en arrière dans une longue queue de cheval. Pas un seul cheveu ne dépassait. Pas le moindre épi. C’était parfait. Tout comme sa tenue qui n’avait pas le moindre faux plis. Un blouson de cuir bleu éléctrique assorti au pantalon et un chemisier noir sagement boutonné. Elle était ainsi belle, élégante et un brin sexy. Mais jamais dans la provocation. Elle n’était pas là pour plaire mais pour représenter la loi et la faire respecter.
Elle descendit de sa voiture. Elle n’aimait pas trop les véhicules de cette réalité qu’elle jugeait un peu archaïque mais elle tenait à montrer qu’elle s’adaptait et suivait les codes de chaque monde. Ce que chacun devait faire. Et ce que chacun ne faisait pas toujours. A commencer par ce sinistre individu qui n’en était pas à sa première intervention.

— Monsieur Lechtford, j’aurais franchement espéré ne pas avoir à vous courir après et que vous ayez la correction de répondre à la convocation que je vous ai fait parvenir il y a quelques semaines, dit elle en allumant sa montre.

Un cercle de lumière en sortit alors qu’elle faisait son réglage. Un cadran solaire de couleur verte se posa autour d’eux. Le temps autour d’eux se figea et plus personne ne sembla les voir. Keane était coincé juste devant le manoir. Il avait fait l'erreur de ne pas utiliser l'Entre-Deux pour se ménager de ses nombreux voyages et dormir quelques minutes dans le taxi avant d'affronter le problème Manson.

— Nous allons pouvoir discuter tranquillement, dit elle en le regardant.

Keane leva les yeux au ciel. Avant de quitter l'antre de Simon, il avait récupéré ses vêtements dans l'Entre-deux et était, au moins, présentable, si ce n'était totalement à son avantage. Il fit sauter sa canne dans sa main, mais comme il n'avait pas de chapeau haut de forme à relever avec le pommeau, arrêta son geste dans un soupir.

— Mademoiselle Baga. Il me semble avoir déjà fait savoir à l'Administration qu'il était de très mauvais goût de m'appeler par ce nom-là.

Il avait bien pris soin pourtant de faire renouveler ses visas au nom de Keane.

— Tout comme la falsification de votre identité n'est pas à votre avantage.

Elle le désigna du doigt.

— Je viens pour votre petit problème. Il commence à affecter d'autres personnes et nous savons tous que les détails peuvent créer des dysfonctionnements conséquents.

Il n'aurait pas appelé ça une falsification. Il existait depuis un moment maintenant et il était nécessaire de changer d'identité de temps en temps. Certes, parfois pour se faire oublier, mais il n'était pas le seul dans ce cas-là.

— De quel problème parlez-vous ? demanda-t-il avec mauvaise humeur.

— De votre... parasite, dit elle avec une moue dégoûté en désignant le haut de son corps.

Ruta n'aimait pas tous ces dysfonctionnement qu'elle voyait comme des choses rampantes et sales. C'était un peu comme la transpiration ou pire les flatulences. Elle était soulagée de n'être jamais importunée par ces désagréments sûrement parce qu'elle avait une hygiène de vie irréprochable.

Il se redressa et la regarda avec incrédulité. Il avait du mal entendre.

— Veuillez répéter je vous prie ?

Elle n'aimait pas spécialement que ce mot traine sur son palais. C'était comme s'il risquait de s'accrocher à elle au passage pour la salir.

— Vous êtes atteint d'un vers de type A743.

Elle balaya la lumière de sa montre sur lui.

— Visiblement, il est accroché à vous au minimum depuis une bonne semaine.

Et vu la taille, il s'était peut être nourri plus longtemps que ça.

— Vous avez dû vous en rendre compte, tout de même. Vos problème de synchronicité.

— De synchronicité ?

Il fronça les sourcils, remontant les différents événements. Que ça soit avec Tiffany, Rachel ou Teeps, il était toujours arrivé trop tard. Ce n'était pas tant qu'il était en retard, mais que ça se jouait à quelques secondes près.

— Comment j'ai attrapé ce truc ?

— Avec des relations douteuses, à n'en pas douter.

Elle sortit une petite tablette tactile.

— Je pourrais le faire analyser après son prélèvement.

— Et vous comptez le récupérer comment ?

C'était la foire aux parasites en ce moment ? Un ver, un Arakis... Le prochain, ce serait quoi ? Un Eros ?

— Oh. De la manière, la plus traditionnelle possible, dit elle en sortant une seringue reliée à un câble USB.

Elle s'approcha de lui.

— Pouvez vous baisser votre pantalon, lever votre chemise et vous tournez. Je vais prélever ça dans le bas de votre dos.

Il la regarda comme si elle était folle. Une seringue !

— Voyons, Mademoiselle Baga, nous nous connaissons à peine, protesta-t-il.

Il soupira. Comment avait-il pu attraper ce parasite ? Une semaine avant, où était-il ? Il surveillait le chalet où se trouvait Prudence Starlingbord et avait fini englué, puis trempé. A moins qu'il ait chopé ce truc dans le Négatif, quand il avait été chercher Tiffany avec Rachel ?

— Et nous ne nous connaitrons pas davantage après que je vous ai déparasité, lui assura-t-elle.

Elle enfila des gants en latex et lui fit signe de se dévêtir.

— Vous passez à côté de votre destin et cela se répercute sur celui des autres. Rappelez vous l'effet papillon qu'affectionne les gens de ce monde...

— Je préfère croire aux faits qu'au destin, fit-il remarquer en regardant les gants.

Il la regarda et soupira.

— Une fois le ver ôté, je n'aurai plus de problème de synchronicité ?

— Non. Je fais bien mon métier, dit elle piquée au vif.

Elle ajouta :

— Mais il serait bon également de traiter l'Arakis de votre entourage...

Loin de lui l'idée de remettre en cause ses compétences, mais il n'eut pas l'occasion de le lui préciser.

— Vous êtes également au courant des petits soucis de M. Parker...

C'était à peine étonnant venant de l'Administration.

— Vous comptez le tuer dès maintenant ?

Si cela ne venait pas de lui, Tiffany n'en voudrait pas à Keane. Il pourrait faire semblant de n'avoir rien su et le problème serait résolu.

— Non. Nous avons une solution à ce problème. C'est une nouvelle technologie, elle est efficace la plupart du temps, dit elle.

Elle le regarda.

— Mais commençons par vous si vous le voulez bien, mon emplois du temps est très chargé.

"Efficace la plupart du temps". Ce n'était pas à 100%, mais c'était acceptable. Pour lui, qu'Eka meurt dans l'opération ou pas n'avait d'importance que par l'impact que cela aurait sur Tiffany. Un jour, la jeune femme lui en voudrait terriblement, cela il s'y était préparé, mais s'il pouvait éviter que ça soit dès maintenant et à cause de Parler, cela lui convenait bien mieux pour la suite de ses plans.

— Très bien. Débarrassez-moi de cette chose, je vous prie, capitula-t-il.

Il se tourna, remontant sa chemise et baissant son pantalon pour lui laisser accès au bas de son dos. Il l'observait par dessus son épaule.

Elle coiffa des lunettes sur son visage et eut un moue dégoutée en voyant la chose. Elle n'hésita pas et planta la seringue, occasionnant une forte douleur à Keane mais ce ne fut rien. Quand elle commença à la remplir, il y eut comme une résistance.

— Ah je ne lâcherai rien, prévint elle.

Elle n'allait quand même se laisser gêner dans son travail par un vers qui résistait.

— Oh là ! Mademoiselle Baga ! Doucement !

Ce n'était pas parce qu'il était capable de l'endurer dans certaines circonstances qu'il appréciait la douleur !

— Aïe !

Elle tira un peu plus sur le piston, serrant les dents. Finalement la seringue se remplit d'un liquide et elle put la retirer. Elle la connecta à sa tablette pour regarder le résultat.

— Vous allez devoir prendre un traitement. Au cas où il ait eu le temps de pondre, dit elle en continuant de lire son écran.

Il avait serré les dents le temps de l'opération et poussa un soupir de soulagement quand il sentit la seringue se retirer.

— Pondre ? Ah non ! Certainement pas, fit-il en se frottant le bas du dos.

Il remit son pantalon et sa chemise en place, marmonnant qu'il avait certainement du attraper cette saleté dans le Négatif, peut-être dans l'explosion de l'Ashitana Go.

— Raison de plus pour prendre le traitement, dit elle. Je vais demander à ce qu'on vous le fasse livrer. Je viendrais avec un agent pour l'Arakis.

Elle ne pouvait pas faire ça toute seule, ce serait trop dangereux.

— Une idée du délai ?

Cela faisait déjà deux jours qu'il avait laissé Tiffany et Eka et il craignait que les choses aient évolué. S'il devait attendre l'intervention de l'Administration, il préférait savoir combien de temps il devait garder Eka au manoir en prenant garde qu'il ne se laisse pas déborder par ses colères coutumières.