Chapitre 22 - Contaminations

(Jour 6)

Micah détestait ces appartements où il était enfermé depuis qu’on l’avait escorté au palais. Il ne les avait jamais aimés, même à 10 ans, quand Gadriel l’avait emmené ici pour y vivre et être éduqué comme son fils. Le problème ne venait pas des grandes pièces confortables et meublées avec goût, ni même de la terrasse privée qui donnait sur le côté nord d’Eldia. C’était le palais dans son entier qui lui déplaisait. Merveille architecturale, certes, parangon de l’artisanat et de l’Histoire des Nuées aussi, mais il ne s’y était jamais senti chez lui. Le contraire aurait été étonnant. Après tout, à part son père qui le voyait comme une responsabilité à assumer après la mort de sa mère, personne ici n’était ravi de l’avoir sous les yeux. Pourtant, on ne pouvait pas dire qu’il n’avait pas fait d’effort : il s’était plié aux ordres de Gadriel, il avait étudié aux côtés de ses demi-frères et sœurs, il ne s’était pas démarqué. Ne pas faire de vagues, jamais. Il avait malheureusement vite compris que cela ne servait à rien. Le reste de la famille l’avait déjà jugé avant même de le connaître, alors il était devenu celui qu’ils attendaient et il avait accordé sa vie en conséquence. Quitter le palais pour vivre à l’extérieur concordait avec le style de vie qu’il avait choisi, mais aujourd’hui, à tourner en rond depuis 36 heures dans ses anciens appartements, il avait la sensation de revenir au point de départ.
Une domestique lui apporta son repas. Il la remercia, mais n’y toucha pas, préférant sortir sur la terrasse.

— Toujours fidèles au poste, les gars, fit-il de son habituel ton enjoué aux deux gardes de faction.

Kamriel les avait assignés à sa « protection » en attendant que Gadriel lui accorde un entretien. Ils étaient surtout là pour l’empêcher de s’envoler. Il n’en avait aucune intention. Il voulait parler avec son père de Rachel et de ce qui était arrivé à Yara, du piège qu’on leur avait tendu. Qu’il ne soit toujours pas sorti de la rotonde ou ne l’y ait pas convoqué commençait à l’inquiéter. Bien que Gadriel ait une fâcheuse tendance à s’isoler à la moindre contrariété, il ne le faisait jamais aussi longtemps, et encore moins en temps de crise.
Rachel… Micah pensait beaucoup à elle et pas seulement parce qu’il n’avait que cela à faire. Personne ne l’avait retrouvée et Kamriel lui avait confirmé que le portail interdimensionnel avait été activé avec son pass au nez et à la barbe des gardes du palais. Sa demi-sœur ne s’était pas gênée pour lui répéter qu’il avait été assez crétin pour qu’elle lui vole le précieux sésame en plus du reste, qu’il avait eu de la chance que Yara ne soit pas morte. Evidemment, il n’avait pas cherché à nier. Seul son père l’écouterait, même si ce ne serait pas simple vu que Rachel était malgré tout liée à Keane. Enfin, l’important était qu’elle ait quitté les Nuées saine et sauve. Elle devait être déjà chez Simon Heckel. Leur surprenante journée ensemble lui semblait déjà loin et il se disait qu’elle ne serait bientôt qu’un souvenir agréable, comme ces occasions qui ne se présentaient qu’une seule fois dans une vie.

— Vous plaisantez, j’espère. Vous savez à qui vous parlez ? Laissez-moi entrer.

La voix aigüe de Yara le ramena à l’intérieur. Il avait attendu sa visite avec une certaine impatience.

— Mais ce n’est pas vrai, ça. Bande d’incapables. Vous en entendrez parler.

Les doubles portes de l’appartement s’ouvrirent sur Yara qui continuait de menacer les gardes. Cela valait mieux que de leur sauter dessus pour qu’ils lui écartent les cuisses. Elle n’avait eu malheureusement que quelques heures de répit avant que la chose en elle recommence à la pousser au crime et réclame son dû.

— Je ne te remercie pas pour avoir demandé à cette fille de veiller sur moi, fit-elle en regardant Micah.

Quand ses yeux se posèrent sur lui, elle sentit le désir la tenailler. La dernière chose dont elle se souvenait, c’était de lui avoir présenté ses fesses en espérant un plan à trois avec cette fille, la Nagash. Depuis, elle n’arrêtait pas de se demander s’ils avaient fait quelque chose de répréhensible avant qu’elle perde connaissance. Seulement, rien que d’y penser lui donnait envie de le plaquer sur le canapé pour l’enfourcher et l’accueillir en elle. Elle tapa par terre de sa sandale délicate pour se recentrer.

— Vous comptez refermer les portes quand ? fit-elle aux gardes qui obéirent prestement, les laissant seuls.
— Comment vous sentez-vous ? demanda Micah en l’observant avec attention.
— Mieux depuis que j’ai renvoyé cette jeune femme un peu trop serviable.

Zellie lui avait cassé les oreilles à peine avait-elle rouvert les yeux. Mimi par-ci, Yaya par-là. Elle n’avait jamais vu pareille dinde ! Et pourtant, le palais était une vraie basse-cour ! Sans compter qu’il fallait aussi se farcir Ophiel qui avait décidé de garder personnellement ses appartements pour se faire pardonner de l’avoir emmenée chez Micah. Enfin, se farcir… malheureusement, ce n’était qu’une façon de parler, très vulgaire au demeurant. Yara en avait assez de l’être autant, ce n’était pas dans ses habitudes. Pas plus que d’être dévorée par cette envie de sexe et de sang en permanence. Si Zellie n’avait pas encore babillé sur son Mimi coincé au palais, elle aurait fini par lui relever les jupes et par supplier Ophiel de se servir enfin de ce qu’il avait entre les jambes. Il rêvait tant de trousser Zellie qu’elle aurait été ravie de lui donner un coup de main et de participer.
Elle se mordit l’intérieur de la joue. Elle devait se reprendre. Elle s’approcha de Micah et posa malgré elle sa main sur son bras, poussée par le besoin de contact physique. Il la sentit se crisper légèrement alors qu’elle luttait toujours.

— Asseyons-nous pour discuter. Ton amie m’a fortement recommandée plusieurs fois de venir te voir.

Bien qu’elle ne le montre pas, Yara craignait cette discussion. Ramriel lui avait rapporté que la Nagash qui avait séduit Micah avait tenté de l’empoisonner, mais elle ne se souvenait pas de ça. Zellie, elle, avait dit et répété que Micah l’avait sauvée et qu’il s’inquiétait pour elle, mais la jeune femme s’était emportée d’abord sur toutes les qualités qu’elle trouvait sur son beau-frère, puis sur une histoire de prison et de grève des architectes si bien que Yara avait cessé de l’écouter.
Seulement, aucune de ces deux histoires ne mentionnait une vérité mortifiante : le bâtard l’avait vue se comporter comme une prostituée de bas étage, à demi-nue, avec cette femme. S’il racontait tout à Ramriel ou à quiconque… S’il se servait de ça contre son époux… Et dire qu’elle était allée chez lui parce qu’elle pensait que, peut-être, il saurait ce qu’elle avait et comment la guérir. Il voyageait à travers les mondes depuis des années, il connaissait des tas de gens. C’était un espoir fou qui pouvait déboucher sur une trahison mortelle pour elle. Et pourtant… pourtant tout ce qu’elle arrivait à penser maintenant qu’elle était là, avec lui, c’était comment il allait la prendre, combien de fois et si son sang avait un goût différent de celui du jardinier et de tous ceux et celles avec qui elle avait testé ces derniers jours. Après tout, il était à moitié humain, il devait y avoir des différences.
Elle allait finir par devenir folle. Ou elle l’était déjà. C’était peut-être cela l’explication : elle perdait la raison et elle se transformait en nymphomane qui sautait sur tout ce qui bougeait. Pourquoi cela lui arrivait-il à elle ?

— Elle n’arrêtait pas de dire que tu étais peut-être en prison, alors qu’Ophiel lui certifiait le contraire, réussit-elle à dire en prenant place, l’obligeant à faire de même.
— C’est un peu ma faute, reconnut-il.

Micah avait un peu trop insisté sur cette éventualité, il devait le reconnaître.
Il tenta de récupérer son bras, mais elle ne le lâcha que pour poser sa main sur sa cuisse. De l’autre, elle faisant danser ses doigts sur son propre décolleté dans une caresse légère, comme pour attirer le regard de Micah sur la naissance de ses seins qu’elle avait bien moins généreux que Rachel. Elle arrêta son geste pour le regarder le plus dignement possible.

— Alors : qu’est-ce que tu veux pour ton silence ? De l’argent pour rembourser tes dettes ? Que je convaincs Ram de te soutenir publiquement ? Quoi ? Si tu crois que tu vas pouvoir te servir de moi contre mon époux, permets-moi de te dire que je préfère me jeter du bord d’une Arche.

Micah ne fut guère surpris qu’elle lui prête ce genre d’intentions. La grande majorité des membres de cette famille serait ravie de tomber sur une telle opportunité, de se servir de cette information pour leur propre ambition. Lui-même avait eu le temps d’y réfléchir depuis hier. Rachel lui avait dit qu’il découvrirait un moyen de pression envers Yara. « Même si tu n’es pas comme eux » avait-elle ajouté doucement.
Il regarda Yara avec pitié. Ce qu’elle vivait devait être insupportable. Avec douceur, il tenta d’ôter sa main de sa cuisse, mais elle résista.

— Yara, ce n’est…
— Ou alors, tu es tellement dépravé que tu penses t’amuser avec moi comme avec toutes ces filles ? le coupa-t-elle aussitôt. Que je vais me prêter à tous tes fantasmes pour que tu ne dises rien à personne ?

Yara avait à peine reconnu sa voix alors qu’elle s’était penchée plus vers lui, sa main glissant dangereusement vers la virilité de Micah, son regard plein d’un désir dévorant. Des fantasmes, elle en avait à revendre et elle était prête à tous les réaliser avec lui.

— C’est ça que tu veux ? continua-t-elle en prenant la main de son beau-frère pour la placer sur sa poitrine.

Un frisson de désir parcourut son corps à ce contact et son entrejambe s’enflamma. Il lui fallait du sexe. Passionné, brutal, animal. Elle voulait jouir, se sentir délivrée de ce qui la dévorait, et se repaître du sang de Micah en même temps que le sentir jouir en elle. Encore et encore. Parce que cela ne s’arrêtait jamais. A peine avait-elle quelques heures de repos, le temps que la chose digère.
Cela allait finir par la tuer, mais avant cela, elle se serait compromise de toutes les façons possibles.

— Yara, ça suffit, dit Micah plus fermement, ôtant sa main de son sein et bloquant l’autre. Il faut qu’on discute.
— Et moi, je crois qu’il faut que tu me prennes tout de suite, répliqua-t-elle d’une voix plus rauque. Dans le sens que tu veux.
— Tu n’es pas toi-même, Yara. On t’a contaminée avec un parasite pour vous détruire, toi et Ramriel.

Comme il l’avait espéré, la mention de son époux figea Yara. Elle avait encore de la volonté pour lutter contre l’Eros, c’était encourageant. Il jeta un coup d’œil vers la terrasse, priant pour que les gardes n’aient rien vu, ni rien entendu.

— Tu… tu sais ce que j’ai ? finit-elle par réussir à articuler.
— Oui, confirma-t-il en repoussant sa main de sa cuisse toujours avec fermeté. Et je vais…

Les portes s’ouvrirent soudain et Yara sursauta, éloignant aussitôt ses mains de Micah et se redressant pour retrouver une attitude convenable. Lui se leva sans se précipiter, un peu contrarié qu’on ne prenne même pas la peine de s’annoncer dans ses appartements, mais guère étonné que Ramriel se croit chez lui partout.
Âgé de 6 ans de plus que Micah, le fils aîné de Gadriel était une version plus jeune de leur père, avec les mêmes cheveux auburn coupés courts et les mêmes yeux bleus. Moins carré d’épaules qu’Ophiel et son physique de militaire, il avait d’ordinaire une aura similaire à celle d’Anadiel, avec qui il était en éternelle compétition depuis leur conception. Micah l’avait toujours connu inflexible, condescendant et cruel avec lui.

— Yara ? Que fais-tu ici ? Je t’avais dit de rester te reposer.

La transformation de son demi-frère en présence de Yaranae était toujours fascinante à observer pour Micah. Cet homme était capable d’envoyer dans la prison du Kérès le moindre domestique qui aurait rempli son verre un peu trop ou pas assez, et il se transformait en gros nounours mielleux avec sa femme. Aujourd’hui ne dérogeait pas à la règle, d’autant plus que son regard d’habitude si froid, brillait d’inquiétude pour la femme dont il était éperdument amoureux.

(à suivre)